Indice entrepreneurial québécois 2019

Conclusion

Un moment privilégié dans l’histoire entrepreneuriale du Québec

 

Onze ans après sa création, l’Indice nous permet à nouveau d’être les témoins d’un moment privilégié du développement de la culture entrepreneuriale au Québec, celui de « tous les possibles ».

Nous avons vu au fil des ans les taux d’intentions et de démarches tripler, et ce, principalement par le dynamisme des jeunes (le groupe des 18 à 34 ans). Les grands efforts des gouvernements et des acteurs de l’entrepreneuriat afin de stimuler ce potentiel entrepreneurial ont donc porté fruit.

L’Indice nous permet de prendre un certain recul et de constater que « l’explosion » des taux d’intentions de ce groupe se stabilise, mais à des niveaux encore très forts (un tiers des jeunes désire entreprendre en 2019!). Il nous permet de voir qu’en parallèle, cette stabilisation a provoqué un glissement vers les « indécis », c’est-à-dire les jeunes qui n’écartent pas l’option d’entreprendre un jour, mais qui ne s’engagent pas pour le moment dans l’aventure (un taux qui est passé de 14,9 % en 2018 à 22,7 % en 2019).

Des conditions socioéconomiques polarisantes

Nous avons vu qu’un jeune sur deux ferme son entreprise avant d’atteindre sa troisième année d’activité, et que ce bilan était surtout dû au taux de fermetures chez les jeunes hommes (ils ferment trois fois plus que les jeunes femmes). Même si une attention particulière doit sans doute être portée à ce groupe démographique, un fort taux de fermetures est bien sûr davantage attendu chez les jeunes. C’est le lot de l’inexpérience et c’est une possibilité d’autant plus attendue considérant le marché du travail qui n’a jamais été aussi florissant au Québec et qui est très attractif.

Toutefois, le rapport entre le taux de fermetures et celui des propriétaires chez les jeunes (trois fois plus de fermetures que de propriétaires) pèse lourd sur le système. Sélectionnons-nous suffisamment bien les projets qui passent dans le « circuit » de l’écosystème d’accompagnement et de financement des entrepreneurs? Portons-nous assez attention aux compétences et au mieux-être des jeunes entrepreneurs, pourtant entourés d’un nombre appréciable de structures de soutien, tels les incubateurs, les accélérateurs et les espaces de cotravail?

L’Indice nous montre qu’à un bout de ce portrait des fermetures, il y a l’entrepreneuriat de nécessité (entreprendre par dépit, faute d’avoir trouvé LE bon emploi). C’est d’ailleurs le lot de beaucoup de jeunes entrepreneurs d’origine immigrante (particulièrement chez les jeunes femmes du groupe qui sont 78,4 % à avoir fermé leur entreprise avant d’atteindre le cap des trois ans d’activité).

Le récent Portrait de l’écosystème startup de Montréal 2020 de Bonjour Startup Montréal (réalisé en partenariat avec l’IEBN) nous montre qu’à l’autre bout du portrait des fermetures, il y a aussi – dans certains cas – des décrochages au moment de la croissance des startups[1], notamment par défaillance du modèle d’affaires, par insuffisance de financement, ou par difficulté d’attraction et de rétention d’employés qualifiés.

Comme piste de solution, le rapport souligne d’ailleurs la nécessité d’une meilleure coopération entre les startups et les grandes entreprises. D’un côté, cela apporte un soutien financier, de l’expérience et un réseau d’affaires aux startups, et de l’autre, ces dernières sont en mesure d’infuser une bonne dose d’innovation dans ces grandes entreprises.

Entre-temps, que faisons-nous si on n’entreprend pas alors qu’on est jeune? On prend de l’expérience! Nous l’avons vu dans l’Indice, la carrière professionnelle contribue à plusieurs choses… Les assises financières se solidifient, et l’acquisition de connaissances stratégiques se poursuit (tant par les études universitaires que par l’expérience professionnelle). Pour tous ces jeunes indécis qui n’excluent pas un jour de se lancer en affaires, les carrières professionnelles sont une véritable antichambre à l’entrepreneuriat. Rappelons ici le chiffre éloquent d’une récente étude menée par Femmessor en collaboration avec Rouge Canari et Léger[2] : 60 % des employés et des cadres à temps plein démontrent de l’intérêt pour l’actionnariat.

Alors, l’âge est-il un gage de la réussite?

L’Indice 2019 nous indique que l’âge n’est pas une garantie absolue de la réussite entrepreneuriale avec un grand R. Rappelons que le point de bascule étant établi dans l’Indice au fait d’avoir démarré avant ou après 35 ans. Cependant, nous avons vu que lorsque les entreprises sont lancées à un plus jeune âge (qu’elles aient ou non l’étiquette de startup), elles ont plus de chances d’être de plus grande envergure, d’avoir un nombre plus élevé d’employés et de démontrer une volonté plus importante d’internationalisation, que les entreprises lancées par des entrepreneurs ayant passé le cap des 35 ans. Pour ces derniers, si la croissance et l’internationalisation sont un peu moins au rendez-vous, c’est la pérennité de leur entreprise qui est davantage assurée. Des entreprises peut-être un peu moins « grandes », mais qui survivent mieux aux affres du temps.

Un grand mouvement

Nous sommes les témoins d’un moment privilégié, car nous voyons ce grand mouvement entrepreneurial prendre aussi racine chez les 35-49 ans. Pour la première fois dans l’histoire de l’Indice, le taux d’intentions d’entreprendre de ce groupe est plus élevé que celui des jeunes (certes de très peu [1 %], mais quand même!). Ensuite, ces dernières années, l’Indice nous avait permis de constater que le taux de démarches des 35-49 ans talonne celui des jeunes, mais il n’a jamais dépassé si clairement ce groupe (+3,6 points de pourcentage en 2019)! De plus, les 35-49 ans représentent le tiers des nouvelles démarches effectuées dans la dernière année.

Cette hausse des intentions et des démarches chez les 35-49 ans est due à une autre tendance notée par l’Indice : la vigueur confirmée de l’entrepreneuriat féminin. Les efforts concertés des dernières années portés par les différents acteurs spécialisés de l’écosystème portent visiblement fruit. Nous notons depuis trois ans une parité chez les nouveaux jeunes entrepreneurs. Et cet élan semble se répercuter aussi chez les femmes de 35-49 ans, particulièrement les femmes nées au Canada et dont le taux de démarches de 13,6 % dépasse clairement la moyenne globale qui est de 9,7 % pour l’ensemble de la population adulte.

Toutefois, un fait demeure : le travail autonome est prédominant chez les femmes entrepreneures. Cela démontre qu’il faut continuer à soutenir l’entrepreneuriat féminin avec des programmes voués au développement des compétences entrepreneuriales et reconnaissant également les réalités spécifiques de cette clientèle.

Rappelons que l’entrepreneuriat immigrant est globalement un très grand contributeur au dynamisme entrepreneurial du Québec – tant sur le plan des intentions (une personne sur quatre ayant l’intention d’entreprendre est d’origine immigrante) que sur le plan des démarches (le taux de démarches est deux fois supérieur chez les personnes immigrantes par rapport à celles nées au Canada).

L’entrepreneuriat « mature » : une nouvelle vague

La preuve que réaliser un rêve ou une passion n’est pas que l’apanage de la jeunesse? Le groupe des 50-64 ans connaît des bonds spectaculaires en ce qui concerne les taux d’intentions et de démarches. Si – pour ce groupe – la santé demeure le principal frein à l’idée d’entreprendre, c’est aussi le groupe concentrant le plus fort taux de propriétaires (11,1 % des propriétaires sont dans cette tranche d’âge, alors que la moyenne globale de la population adulte est de 6,2 %). C’est aussi le groupe qui a connu la plus grande augmentation du taux de démarches dans la dernière année (hausse de 45 % depuis 2018!).

Certes, le travail autonome est très fortement envisagé pour ce groupe (encore plus que pour les 35-49 ans, soit 40,9 % contre 27,8 %), mais à l’ère du vieillissement de la population et de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, quelle grande entreprise a le luxe de se passer d’un tel réseau de fournisseurs expérimentés? Quelle économie locale ou régionale peut faire fi de ce dynamisme entrepreneurial? Quel gouvernement peut dire « non » à ces personnes qui, plutôt que d’utiliser les systèmes sociaux en place, viennent y contribuer par une activité entrepreneuriale?

Le rôle de la société face à ce grand mouvement

Nous sommes privilégiés, car nous voyons sous nos yeux la culture entrepreneuriale du Québec s’enrichir et se solidifier, tant par une forte présence des jeunes que par celle plus marquée des autres groupes de la population encore en activité, soit les 35-49 ans et les 50-64 ans. Rappelons-le : entreprendre est – pour la première fois dans l’histoire de l’Indice – le choix no 1 de carrière optimale de tous ces groupes d’âge.

Cette « démocratisation » de l’entrepreneuriat pourrait-elle faire l’objet d’une attention plus particulière de la part des institutions financières et d’une plus grande accessibilité de la part des programmes de financement publics? Ces « autres entrepreneurs » pourraient-ils aussi avoir une voix encore plus grande auprès des médias? Pourrions-nous envisager un circuit d’accompagnement des entrepreneurs s’affichant plus ouvert et avec des approches plus personnalisées au regard des différents profils sociodémographiques? Voilà quelques pistes de réflexion à explorer. Dans tous les cas, l’Indice nous le rappelle, lorsqu’ils avancent en âge, ces entrepreneurs plus « sages » savent plus que quiconque… qu’ils ne savent pas!

Enfin, qu’est-ce qui nous empêche de célébrer davantage cet entrepreneuriat plus « mature » et de le reconnaître dans nos différents outils de promotion de l’entrepreneuriat? Quel bel héritage à laisser à nos enfants et au Québec de demain : le pouvoir de se réaliser, de créer et d’entreprendre est pour tous.

Sources

[1] Les startups sont définies par les auteurs de l’étude comme étant de « jeunes entreprises innovantes à fort potentiel de croissance ».

[2] L’actionnariat, une porte d’entrée pour les femmes en entrepreneuriat, Femmessor, Rouge Canari, Léger, octobre 2019.