Camille Gagné

Camille Gagné est capitaine de bateau de pêche en Gaspésie. C’est une profession intense, dont les résultats se retrouvent dans votre assiette.  

Portrait d’une femme qui aime le vent du large. 

Camille Gagné est issue d’une famille d’entrepreneurs. Elle possède une poissonnerie et une usine de transformation à Carleton-sur-Mer où elle habite, ainsi qu’un bateau de pêche basé à Rivière-au-Renard. Elle travaille à la poissonnerie depuis 2006, qu’elle a rachetée en 2016. Elle évolue dans le monde des pêches depuis une douzaine d’années, alors qu’elle accompagnait son ex-mari sur son bateau. 

« Les moments où je me sentais le mieux, c’était sur le quai avec les pêcheurs et, surtout, sur notre navire, à pêcher avec mes enfants. Je suis réellement animée par l’amour de la mer », affirme celle qui joue un rôle de précurseur. 

Car Camille Gagné pêche le crabe des neiges depuis deux ans. C’est la seule capitaine québécoise à le faire. Une capitaine de bateau de pêche est encore une espèce rare au Québec : deux autres femmes pêchent le homard, par exemple. 

« La première année, ce fut difficile, révèle-t-elle. Plusieurs ont été surpris. Il y a encore une certaine mentalité archaïque dans notre milieu. La pêche, ce n’est pas un monde de femmes. Mais quand ils ont vu que je faisais aussi bien l’affaire qu’un homme, j’ai gagné leur respect. Ça se passe bien depuis. Dans mon secteur, une femme capitaine, c’est un peu anormal. Mais je ne suis pas conformiste de nature… » 

Crise de main-d’œuvre 

Mme Gagné possède un équipage de trois hommes de pont. Elle fait face, comme tous les capitaines, à des problèmes de main-d’œuvre accrus depuis la pandémie.  

« La pandémie a attiré un nombre record de touristes en Gaspésie, ce qui est bon pour notre économie, analyse-t-elle. Mais la PCU a transformé la pénurie de main-d’œuvre existante en calvaire. L’explosion du coût de la vie a entraîné une forte hausse des salaires. C’est difficile, aujourd’hui, de recruter des employés non spécialisés et de demeurer compétitif, alors qu’ils peuvent se trouver aisément des emplois bien payés ailleurs. » 

Elle ne peut donc pas payer son monde plus de 18$ ou 20$ l’heure sans exiger davantage pour ses prises. Mais sa marge de manœuvre est limitée. « On ne peut hausser les prix à chaque étape de la chaîne de transformation et de distribution, car le consommateur aurait de la difficulté à intégrer toutes ces hausses, reprend-elle. C’est pourquoi les prix à la consommation augmentent moins rapidement que les coûts de production, et ça complique notre vie. » 

Le prix du crabe et de d’autres produits a certes augmenté (Mme Gagné pêche plusieurs espèces), mais pas assez pour absorber l’inflation, qui affecte chaque échelon de l’industrie. 

La crise des chaînes d’approvisionnement issue de la pandémie a aussi compliqué la vie des capitaines. Les délais pour obtenir des matières premières et, surtout, des pièces sont devenus infernaux.  

« On attend certains produits pendant des mois et ils coûtent beaucoup plus cher, constate-t-elle. Une caisse de rondelles (washers) en acier inoxydable, très utilisées dans la pêche, est passée de 13$ à 75$. J’ai commandé un système de navigation satellitaire que j’ai attendu pendant des mois, car j’ai profité de l’hiver pour effectuer des rénovations majeures sur mon bateau. Il se vend aujourd’hui 150% plus cher. Certains capitaines partiront en mer en retard cette année parce qu’ils attendent encore des pièces essentielles pour réparer leur bateau. » 

Optimiste 

Camille Gagné connaît un rythme de vie infernal que lui demande l’opération d’une usine, d’une boutique et d’un bateau en simultané. Car la période de pêche s’étire de fin mars à début septembre. Et les sorties en mer sont dictées par la température. « Je pêche de jour, de soir, de nuit, quand Dame Nature le permet », ajoute-t-elle. 

Elle a comme partenaire la Banque Nationale des Îles-de-la-Madeleine et le gouvernement du Québec, par l’entremise de son programme de Soutien à l’achat d’une première entreprise de pêche. « Notre domaine est très particulier, affirme-t-elle. Nous, les capitaines, on a besoin de partenaires qui connaissent notre réalité, la valeur des quotas, les enjeux… On parle de fardeaux financiers imposants : c’est impossible d’acheter un bateau sans liquidités ou collatéral… » 

Elle demeure malgré tout optimiste. Pour Camille Gagné, la pandémie a forcé les entrepreneurs à se dépasser, à se renouveler, à revoir leurs méthodes pour demeurer performants et compétitifs. 

 « On n’a pas le choix que de s’adapter, dit-elle. Il n’y a jamais de solution miracle. C’est fatigant de sans cesse être confrontée à de nouveaux problèmes, mais on devient meilleur dans la gestion et la stratégie. » 

 

Propos recueillis par Stéphane Desjardins