Comprendre l’Indice

Comment comprendre l’Indice entrepreneurial québécois

Pourquoi mesurer le dynamisme entrepreneurial d’un territoire?

Ce texte a été écrit dans le cadre de l’ouvrage Des communautés plus entrepreneuriales : se prendre en main (Modèle, mesure et cas à succès).

Beaucoup de localité et de régions ont mis en place des initiatives pour stimuler l’entrepreneuriat sur leur territoire. Elles ont chacune la préoccupation suivante : comment savoir si ces initiatives sont les bonnes et si nos efforts ne sont pas vains?! Sommes-nous « bons » en entrepreneuriat? Comment soutenir nos entrepreneurs en devenir ou ceux qui sont déjà actifs? Et que nous dit notre culture entrepreneuriale… Avons-nous le terreau qu’il faut pour qu’émerge ce désir d’entreprendre au sein de nos collectivités?

Ces questions, la Fondation de l’entrepreneurship se les est posée en 2009, à un niveau plus global : le Québec. En effet, outre les statistiques gouvernementales usuelles sur les entreprises et la médiatisation du succès des grands entrepreneurs du Québec inc, difficile de savoir si nous nous portions réellement bien. Aucun « tableau de bord » n’existait pour évaluer si les efforts en matière de développement socioéconomique de la province pouvaient porter fruit. Encore moins pour toutes les régions du Québec.

C’est ainsi qu’à la Fondation, sous la direction de Nathaly Riverin, l’Indice entrepreneurial québécois est né. Cet Indice a vite su devenir LA référence en matière de mesure du dynamisme entrepreneurial. Depuis sa création, l’Indice est publié sur base annuelle et plusieurs dizaines de régions et localités ont ainsi, au fil du temps, pu mesurer le dynamisme de leur territoire et se comparer à la mesure provinciale. Depuis 2010, la Fondation peut également compter sur le soutien de la CDPQ, partenaire présentateur du rapport. Dans le cadre de l’édition spéciale de 2018 portant sur les 10 ans de l’Indice et de mesure de l’entrepreneuriat québécois, le rapport sera également présenté avec la collaboration de la Banque Nationale et de iA Groupe financier.

Se mesurer comment?

L’ambition de mesurer le dynamisme entrepreneurial des Québécois a vite nécessité l’implication d’une firme de sondage importante. Ainsi, depuis 2009, la Fondation a conclu un partenariat avec Léger afin de procéder à la collecte des données de ce rapport qui est donc un sondage grand public qui s’effectue par le biais d’un panel Web et/ou, selon les besoins, par une collecte téléphonique. Cette collecte se fait en fonction d’un questionnaire propre à l’Indice.

La possibilité d’utiliser une méthodologie identique tant pour le volet provincial que la mesure des territoires permet un exercice de comparaison unique et précieux pour les régions et localités. Bien évidemment, l’Indice permet de mesurer certains groupes précis de la population pour ainsi en dégager des tendances et indicateurs forts précieux. Ainsi, l’Indice permet de savoir comment se porte l’entrepreneuriat féminin (de mieux en mieux d’ailleurs!), comment se porte l’entrepreneuriat immigrant, jeunesse, etc.

Enfin, depuis 2014, la Fondation a aussi développé un partenariat stratégique avec l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC Montréal au niveau de l’analyse des données et de la production des rapports.

Mesurer quoi, au juste?

L’Indice est en quelque sorte un « Polaroïd » du dynamisme entrepreneurial des individus d’une population donnée à un moment précis. La nuance est importante : l’Indice ne mesure pas le nombre d’entreprises sur un territoire (Statistique Canada et l’Institut de la statistique du Québec le font) mais bien les personnes qui les dirigent, qui souhaiteraient le faire ou qui l’ont déjà fait dans leur vie. Car, tout compte fait, c’est l’individu qui est l’unité de mesure centrale du désir d’entreprendre. Le porteur du rêve d’entreprendre et de l’ambition de créer ou reprendre une entreprise est une personne, et non pas une entité corporative.

Ensuite puisqu’il s’agit de savoir à quel point une population est dynamique, deux grands axes structurent l’Indice : est-elle dotée de bonnes « racines » à l’égard de l’entrepreneuriat, c’est ce que l’on appelle la culture entrepreneuriale. Et ensuite, quels sont les fruits de ce terreau : des individus qui auront décidé d’entreprendre, qui sont en ce moment entrepreneur ou qui affirment l’avoir déjà été. Il s’agit de la chaîne entrepreneuriale avec ses quatre grands indicateurs : intentions, démarches, propriétaires et fermetures.

La culture entrepreneuriale

La culture entrepreneuriale est ce grand terreau social d’où émerge l’envie d’entreprendre au sein d’une population. Une telle envie se nourrit de plusieurs facteurs qui ont trait à la façon dont est perçu, promu et soutenu l’entrepreneuriat et ce par toutes les parties prenantes d’un territoire (la société civile, les élus, le milieu de l’éducation, les médias, etc.).

Voici des exemples d’indicateurs liés à la culture entrepreneuriale et que mesure l’Indice :

  • Perception de l’honnêteté des entrepreneurs et du fait qu’ils sont des contributeurs à la société.
  • Connaissance ou non d’entrepreneurs dans nos réseaux de proximité.
  • Perception de posséder (ou non) certaines compétences et attitudes entrepreneuriales.
  • Désirabilité du métier
  • Prise (ou non) de risques : relation des individus face aux risques financiers et personnels d’entreprendre.
  • Soutien de la société, des proches, du milieu de l’éducation.
  • Perception que l’entrepreneuriat est à l’agenda des élus.
  • Connaissance des initiatives liées au développement de l’entrepreneuriat dans la communauté.

D’acceptable à désirable, et même plus!

Ces dernières années, l’entrepreneuriat a fait son chemin dans la tête puis le cœur des Québécois. Des notions comme l’échec entrepreneurial n’ont plus la même emprise qu’elles avaient. À titre d’exemple, les Québécois sondés par l’Indice affirmaient en 2011 à 48 % que « Les entrepreneurs ayant subi un revers en affaires conservent le respect des autres ». En 2017, l’accord avec cet indicateur se situait à 75 %! Et c’est le tiers des répondants de l’Indice qui affirmait en 2017 que devenir entrepreneur est le choix de carrière optimal. Comme quoi ce “métier” d’entrepreneur d’abord acceptable puis légitime est devenu désirable et enfin un véritable choix de vie pour les Québécois.

Quel est le lien entre ces indicateurs et le développement entrepreneurial d’un territoire?

Ces indicateurs donnent des pistes d’action précieuses lorsqu’il s’agit de structurer des initiatives et se doter d’une planification stratégique en matière de développement entrepreneurial. Par exemple, si la perception du soutien du milieu de l’éducation est mitigée, elle peut donner certaines indications. Un regard par groupe d’âges et par sexe pourrait nous renseigner si cette perception est uniforme ou si elle est meilleure pour certains groupes.

La perception des individus à l’égard des compétences et attitudes pour entreprendre est aussi un autre indicateur qui, s’il s’avère plutôt négatif, peut donner des pistes d’action. Connaissons-nous concrètement des entrepreneurs? Le territoire met-il de l’avant ses entrepreneurs et ceux-ci ont-ils l’occasion de témoigner du chemin qu’ils ont parcouru? De leurs embûches et des succès rencontrés? D’ailleurs, depuis quatre ans, les répondants de l’Indice identifient comme action no. 1 pour stimuler la culture entrepreneuriale le fait de démystifier les requis (sommes, compétences) pour entreprendre.

Ce polaroïd de la culture entrepreneuriale d’un territoire renseigne donc sur les conditions pour qu’émerge avec plus ou moins d’intensité des personnes qui vont se lancer dans l’entrepreneuriat.

La chaîne entrepreneuriale

Il faut voir la chaîne entrepreneuriale comme un grand fil chronologique où le futur se situe à l’extrême gauche et le passé à l’extrême droite. Ainsi, les individus ayant l’intention (un jour) d’entreprendre ou ceux qui font des démarches en ce sens déjà (ex. : ils ont fait un plan d’affaires, ils ont fait des démarches pour obtenir du financement) sont en quelque sorte le FUTUR entrepreneurial d’une communauté. Le PRÉSENT est représenté par ceux qui se disent déjà entrepreneurs, soient les propriétaires. Enfin, le PASSÉ de la chaîne entrepreneuriale représente les personnes qui ont au moins une fois dans leur vie fermé une entreprise, soit les « fermetures ».

Ce processus est un cycle en boucle puisque les entrepreneurs qui ont déjà fermé une entreprise peuvent très bien se retrouver à nouveau dans le processus entrepreneurial, ayant à nouveau l’intention de se lancer en affaires ou déjà à l’étape des démarches ou carrément à nouveaux propriétaires. C’est sans compter les entrepreneurs en série qui ne ferment pas mais vendent leur entreprise pour en démarrer une autre, ni les “multientrepreneurs” qui détiennent en parallèle plusieurs entreprises!

Le potentiel entrepreneurial d’un territoire – les intentions

Cet indicateur est sans doute celui qui a le plus évolué (positivement) au fil des ans au Québec et dans une bonne majorité des territoires mesurés par la Fondation. Jamais nous n’avons vu autant de personnes (et particulièrement chez les jeunes) avoir l’intention « un jour » d’entreprendre (3 fois plus chez les jeunes depuis le début de l’Indice). Ce désir d’entreprendre en croissance se voit d’ailleurs dans d’autres pays tels la France.

Il s’agit toutefois d’un indicateur plutôt « volatile ». De nombreux éléments « distracteurs » peuvent faire en sorte qu’une personne ne concrétise finalement pas ses intentions. Par exemple, le fait de ne pas réunir les premiers éléments nécessaires (tel le financement). Il est fort possible aussi que besoin criant de main d’œuvre et les nombreux emplois de qualité puissent détourner les individus dont l’attrait profond pour l’entrepreneuriat n’est finalement pas aussi fort que la stabilité et les conditions d’un emploi bien rémunéré.

D’ailleurs, il est plutôt facile d’observer si une communauté a surtout des « rêveurs » plutôt que des entrepreneurs en devenir. Il suffit de regarder l’horizon temporel dans lequel les répondants qui ont l’intention d’entreprendre comptent réellement passer à l’action (et devenir concrètement propriétaire). Plus cet horizon est long, plus la réelle volonté d’entreprendre peut ici être remise en question.

Démarches pour entreprendre

Il s’agit de l’étape où un entrepreneur réunit les conditions de base afin de lancer son projet. Financement, formation, plan ou modèle d’affaires, local, employés, fournisseurs : la liste peut être longue. Encore ici, le temps estimé pour réaliser et compléter les démarches afin de mettre sur pied l’entreprise peut faire en sorte qu’il s’agisse d’une voie de sortie pour plusieurs.

Cette étape peut pourtant s’avérer courte dans certains contextes. Un taux de démarcheurs qui peut sembler faible dans une communauté ne veut pas forcément dire que le dynamisme de cette communauté laisse à désirer. Comme il s’agit d’un état de transition, il pourrait en effet très bien vouloir dire que pour une communauté donnée, les ressources sont assez présentes et connues et les individus se sentent assez soutenus et décidés (et en contrôle d’un modèle d’affaires relativement simple à opérer) qu’ils sont, au final, peu présents dans les démarches car déjà lancés en affaires, et donc propriétaires.

Les obstacles identifiés par les répondants et le soutien requis pour véritablement devenir entrepreneur sont aussi d’excellents indicateurs et encore des pistes d’action concrète qui peuvent dicter à une communauté comment soutenir le passage à l’action de ses futurs entrepreneurs.

À ce stade, il ne faut pas assumer que la chaîne entrepreneuriale ne mesure que ceux qui désirent CRÉER une entreprise. En effet, il est tout aussi important de découvrir les personnes qui souhaitent REPRENDRE une entreprise, que ce soit dans le cas d’une relève familiale, ou d’un achat.

Propriétaires

Avec ou sans employés (les travailleurs autonomes), seuls ou avec des associés, l’Indice mesure donc aussi les personnes qui sont présentement en affaires. Une série de sous-indicateurs et le croisement de ceux-ci permettent de prendre la véritable mesure des entrepreneurs d’une localité. Ont-ils ou non des employés à leur charge? Ont-ils des activités (exportations, partenariats, etc.) à l’extérieur de la région, de la province, voire du pays? Ont-ils l’intention d’investir dans l’innovation de leur entreprise (processus, produits, technologie, etc.)? Ont-ils démarré avec des sommes significatives (et souvent signe d’une entreprise d’une certaine envergure)?

Toutes ces questions finissent par tracer un portrait des entrepreneurs d’une communauté. En fait, depuis deux ans, l’Indice a même identifié quatre grands profils qui permettent d’affiner l’analyse des entrepreneurs d’une région donnée.

Les quatre profils de propriétaires de l’Indice

  • Le Chef de file est un propriétaire d’entreprise (toutes formes d’entreprises confondues) qui est actif à l’international et dont l’entreprise compte des employés salariés.
  • L’Enraciné est un propriétaire d’entreprise majoritairement actif à l’échelle provinciale (mais pas à l’international), et dont l’entreprise compte des employés salariés.
  • Le Prudent est un propriétaire d’entreprise sans autre employé que lui‐même et ayant certaines activités à l’international.
  • L’Individualiste est un propriétaire d’entreprise sans autre employé que lui‐même et ayant des activités majoritairement locales ou régionales.

Une autre façon de voir le dynamisme des entrepreneurs est de savoir s’ils possèdent plus d’une entreprise. Ces “multientrepreneurs”, comme évoqué ci-dessus, nous indiquent à la fois une certaine maturité des entrepreneurs d’une localité et une facilité accrue à accéder aux ressources nécessaires. Plusieurs autres éléments peuvent toutefois teinter cette lecture (pourquoi posséder plusieurs entreprises, au fait? Pour répartir les risques? Pour faire plus d’argent? Pour saisir une occasion d’affaires?) Car il est vrai que « l’appétit vient en mangeant »…

Fermetures

Les fermetures sont caractérisées par les individus qui ont déjà fermé ou cessé les activités d’une entreprise dont ils étaient propriétaires et qu’ils dirigeaient. La fermeture ou la cessation des activités d’une entreprise ne comprend pas ici la vente d’une entreprise.

Pour la population d’âge active, la fermeture d’une entreprise est davantage un accident de parcours relevant plus de l’expérience que de l’échec. En 2017, 25,8 % des propriétaires actuels affirmaient avoir déjà fermé au moins une fois durant leur vie une entreprise. Plus encore, 28,7 % des répondants de moins de 65 ans ayant fermé une entreprise (et qui ne sont pas redevenus propriétaires) affirment être en démarches pour créer une autre entreprise. Cette présence d’entrepreneurs en série est importante pour le développement de notre culture entrepreneuriale.

Les fermetures ne sont donc pas une fin en soi, cela dit le Québec ne fait toutefois pas exception en ce qui a trait au nombre d’entreprises qui ne passent pas le cap fatidique des cinq ans. En 2017, 3 entrepreneurs sur 5 affirmaient avoir fermé leur entreprise avant qu’elle ne puisse franchir ce seuil.

Et la mesure du dynamisme entrepreneurial dans le futur?

Le monde évolue à vitesse grand V et les formes d’entrepreneuriat se diversifient. Il y a fort à parier que la mesure devra aussi évoluer pour mieux prendre le pouls des individus qui choisissent des modèles d’affaires et des formes d’économies correspondant davantage à leurs aspirations et valeurs.

Par ailleurs, les intrapreneurs sont partie prenante d’une communauté entrepreneuriale. Ils sont des rouages importants de la croissance organique des entreprises et nous l’avons souvent vu, ils ont aussi des “entrepreneurs de l’entrepreneuriat”, propulsant nombre d’organisation socioéconomique. Mesurer leur impact au sein du dynamisme entrepreneurial d’un territoire serait très certainement un beau défi à explorer.