Études universitaires : un tremplin pour l’entrepreneuriat

2014 : point d’inflexion marquant l’amorce d’une croissance des taux d’intention et de démarches en faveur des détenteurs de diplômes universitaires

Les dernières éditions de l’Indice ont permis de mettre en évidence que l’éducation universitaire fait une grande différence dans l’émergence des intentions entrepreneuriales et le passage à l’étape des démarches1. Cette année, un regard longitudinal sur les 10 ans de données de l’Indice révèle un point d’inflexion plus précis – 2014 – à partir duquel on note une augmentation continuelle des taux d’intention d’entreprendre et des démarches parmi les détenteurs de diplômes universitaires (à l’instar des taux globaux d’intention et de démarches), alors que la courbe des autres répondants diminue.

L’éducation universitaire n’est pas une condition absolue de performance entrepreneuriale (en effet, de nombreux entrepreneurs excellent sans ce parcours!) d’autres facteurs viennent aussi contribuer à notre performance entrepreneuriale globale. Cela dit, on ne peut nier que l’éducation joue un rôle de premier plan. Et les données de l’Indice nous démontrent que le Québec embrasse de plus en plus les requis nécessaires afin de tirer profit d’une économie mondiale, complexe et bouleversée par d’incessantes révolutions technologiques.

Difficile d’aborder le thème de l’éducation et des études universitaires sans regarder leur évolution dans la société québécoise durant les dernières années. En fait, le taux de la population adulte (25 à 64 ans) avec des études universitaires est en augmentation continue2 depuis au moins 1990; le taux se situait alors à 15,2 %, pour atteindre 30,9 % en 2016. Cette progression (un taux deux fois plus grand en 26 ans) se situe d’ailleurs dans la tendance mondiale3, surtout en Amérique du Nord et en Europe occidentale, avec un taux de scolarisation universitaire par cohorte (groupes d’âge)4 de 76 %.

Parcours universitaire : une influence sur la proactivité et le désir d’entreprendre

Lien entre le niveau d’études et la perception du risque et de la proactivité

Faire des études universitaires n’est pas que l’occasion de bâtir un bagage de connaissances de haut niveau. Pour bon nombre d’étudiants, c’est aussi l’occasion d’acquérir une démarche intellectuelle et une méthodologie de travail qui les suivront tout au cours de leur vie.

À cet égard, l’on note une influence importante sur la perception de la proactivité, qui est significativement supérieure pour l’ensemble des répondants diplômés universitaires (0,10 contre -0,05 pour les diplômés préuniversitaires). Toutefois, les données indiquent le fait que le niveau d’études n’a pas d’influence significative sur la perception du risque : les diplômés universitaires, qu’ils soient ou non dans la chaîne entrepreneuriale, ont un score Z de 0,03, alors qu’il est évalué à -0,01 pour les diplômés préuniversitaires. 

Une influence sur les taux d’intention

Comme l’indique le graphique 7.1, l’année 2014 est le point d’inflexion dans les niveaux d’intention d’entreprendre entre les individus avec et sans diplômes universitaires au sein des données de l’Indice. Et cette tendance ne cesse de se confirmer depuis. Cela s’expliquerait-il par les initiatives croissantes du milieu de l’enseignement universitaire en faveur de l’entrepreneuriat? C’est fort possible. En effet, le réseau des centres d’entrepreneuriat universitaire5 (CEU) du Québec compte 14 centres, 6 d’entre eux ayant été créés entre 1983 et l’an 2000, et depuis, 8 autres centres se sont ajoutés.

L’effet cumulatif de ces centres, l’accélération de leur mise en place depuis 2000 et la nature disruptive de bon nombre de leur cursus et de leurs activités pourraient en partie expliquer le point d’inflexion constaté et les effets6 sur les intentions entrepreneuriales. Les CEU sont en effet des lieux où l’éducation à l’entrepreneuriat ne se contente plus de cours de gestion, mais rime désormais avec valorisation, expérimentation, innovation et émulation.

GRAPHIQUE 7.1

Évolution des taux d’intention de se lancer en affaires selon le niveau d’études, Québec, 2010-2018 (novembre 2018)

Cela dit, il ne faut pas oublier qu’en amont du parcours universitaire et de ces centres d’entrepreneuriat, jamais le Québec n’a bénéficié d’une mobilisation aussi grande du milieu scolaire collégial et professionnel à l’égard de l’entrepreneuriat, comme en témoigne la présence d’initiatives telles que l’Association des clubs d’entrepreneurs étudiants (dont le nombre de clubs est passé de 40 en 2004 à 58 en 2018), l’École d’entrepreneuriat de Québec (Cégep Garneau), la Zone entrepreneuriale (Cégep de Trois-Rivières) et le Projet d’éducation entrepreneuriale au cégep regroupant 15 cégeps participants, pour ne nommer que ces initiatives. Les étudiants de ces parcours constituent certainement des « prospects » de choix pour les universités et leur CEU, car ils sont déjà fortement orientés vers l’entrepreneuriat.

C’est sans compter les nombreuses politiques gouvernementales – telles que le Défi de l’entrepreneuriat jeunesse (mis en place en 2004 par le Secrétariat à la jeunesse) –, les nombreuses mesures d’aide directes et la valorisation du métier d’entrepreneur dans les médias qui ont aussi certainement contribué à la croissance des taux d’intention du Québec ces dernières années.

Une influence sur la durée du « séjour » à l’étape des intentions

Les individus avec des études préuniversitaires semblent « stagner » plus longtemps à l’étape des intentions : 20 % d’entre eux déclarent avoir ces intentions depuis plus de cinq ans, contre 12 % pour les diplômés universitaires. Si l’estimation du temps envisagé pour commencer les démarches montre des différences minimes, les individus avec des études préuniversitaires sont plus nombreux à ne pouvoir se prononcer sur l’estimation de ce temps (10 % contre 4 % pour les diplômés universitaires).

Une influence sur les motivations à entreprendre, mais peu sur les modalités d’entrée en affaires

Les modalités d’entrée en affaires chez les individus ayant un jour l’intention d’entreprendre sont peu influencées par le niveau d’études des répondants. En revanche, des différences plus notables apparaissent sur le plan des motivations, comme le démontre le tableau 7.1.

Parmi les indicateurs nous laissant entrevoir une association plus évidente entre l’entrepreneuriat de nécessité et les individus sans diplômes universitaires, on retrouve les motivations7 financières. En effet, elles apparaissent plus importantes par ceux ayant arrêté leurs études au niveau préuniversitaire (« besoin d’avoir un revenu suffisant pour survivre », « revenus insuffisants à la retraite »). Leurs préoccupations financières s’expliquent aussi par le fait que les personnes avec des études préuniversitaires affichent des revenus individuels plus faibles : 21 % disposent de moins de 20 000 $ par année et 25 % se situent entre 20 000 $ et 40 000 $, alors que pour les diplômés universitaires, les catégories à moindres revenus sont beaucoup plus faibles (respectivement 13 % et 15 %).

TABLEAU 7.1

Motivations pour se lancer en affaires (à l’étape des intentions) selon le niveau d’études, Québec (novembre 2018)

Enfin, le niveau d’études ne gomme pas ce petit aspect « rêveur » qui subsiste chez les individus qui ont l’intention d’entreprendre. En effet, à cette étape, 18 % des individus ne sont pas en mesure d’identifier l’obstacle qui les empêcherait de passer à l’étape des démarches, quel que soit le niveau d’études.

Le taux de démarches également influencé par le parcours scolaire

Un regard sur le niveau d’études révèle un autre aspect intéressant : le taux de démarches des individus avec des études préuniversitaires est pratiquement stagnant depuis 2010, alors que celui des individus avec des études universitaires a nettement augmenté, surtout à partir de 2015 (graphique 7.2).

GRAPHIQUE 7.2

Évolution du taux des démarches selon le niveau d’études, Québec, 2010-2018 (novembre 2018)

L’écart croissant concernant le taux des démarches provient possiblement des initiatives de plus en plus nombreuses – depuis 2010 – pour faciliter le passage à l’action dans des démarches entrepreneuriales, notamment dans les milieux universitaires, comme mentionné précédemment, en conjonction avec les multiples efforts de sensibilisation et d’accompagnement apportés par les programmes mis en place par les différents paliers gouvernementaux.

Le niveau d’études a-t-il un impact différent sur les motivations à l’étape des démarches?

De manière similaire aux motivations déclarées pour les individus à l’étape des intentions, les niveaux des motivations à l’étape des démarches sont globalement plus élevés pour les individus sans études universitaires (tableau 7.2). De plus, la hiérarchie de ces motivations est différente : l’accomplissement personnel (position dans la société, gagner beaucoup d’argent, etc.) est plus important pour les diplômés préuniversitaires, dont les chances de s’accomplir dans un emploi régulier sont probablement moins importantes que pour un diplômé universitaire.

TABLEAU 7.2

Motivations pour se lancer en affaires (à l’étape des démarches) selon le niveau d’études, Québec (novembre 2018)

Le niveau d’études a également un impact sur le montant des investissements initiaux envisagés pour se lancer : parmi les diplômés préuniversitaires, plus de 38 % pensent démarrer avec moins de 20 000 $, et 9 % seulement avec plus de 250 000 $ (respectivement 30 % et 12 % pour les diplômés universitaires).

Durée du processus des démarches et volonté d’internationalisation

Quel que soit le niveau d’études, la durée entre le début des démarches et la possession de l’entreprise est d’environ quatre années. Cette durée dépend naturellement d’une multitude de facteurs propres aux réalités de chacun des « démarcheurs ». Cependant, et en excluant l’abandon éventuel de certains entrepreneurs, il faut compter environ dix ans pour que le rêve initial se concrétise effectivement dans une activité entrepreneuriale (si l’on tient compte de la durée de six ans, estimée par une majorité relative des répondants entre le moment de la « formation » des intentions et le moment estimé du passage aux démarches).

Le niveau d’études ne semble pas générer de différence sur la taille envisagée de l’entreprise. Cependant, la perspective d’une activité à l’international est clairement plus importante pour les individus avec des études universitaires, qui sont 35 % à exprimer cette volonté contre 22 % pour les diplômés préuniversitaires. Aussi, les premiers sont plus enclins à solliciter de l’aide financière, technique ou de formation aux organisations gouvernementales (56 % contre 47 %).

Regard sur les propriétaires selon leur niveau d’études

Présence confirmée des diplômés universitaires dans les profils de propriétaires tournés vers l’internationalisation

Conformément à ce que l’enquête a permis de détecter au sujet des démarches, les propriétaires diplômés au niveau universitaire présentent effectivement en 2018 un profil plus orienté vers l’international : 10 % des diplômés universitaires sont des Chefs de file (6 % pour les préuniversitaires); 14 % sont des Prudents (contre 5 %). Les propriétaires ayant un diplôme universitaire sont ainsi sous-représentés parmi les profils actifs localement ou régionalement, soit les Enracinés (33 % contre 43 % pour les préuniversitaires) et les Individualistes (43 % contre 47 % pour les préuniversitaires).

Cela confirme aussi les résultats des enquêtes de 2016 et de 2017, qui relevaient la concentration particulière des diplômés universitaires dans les profils orientés vers l’internationalisation de leur projet entrepreneurial. Considérant la tendance récente observée concernant les démarches, cette observation devrait être récurrente dans les années à venir.

Enfin, en portant un regard sur les groupes d’âge, la présence des propriétaires ayant des études universitaires est globalement assez similaire à celle des propriétaires avec des études préuniversitaires : les jeunes et les 65 ans et plus ayant un niveau d’études universitaires sont (faiblement) surreprésentés comparativement aux autres (17 % contre 15 % pour les jeunes; 20 % contre 10 % pour les 65 ans et plus).

Le niveau d’études : une influence sur les modalités d’entrée des propriétaires et sur la performance de leur entreprise

Si, sur le plan des intentions, le niveau d’études ne semble pas influer sur les modalités d’entrée en affaires, les différences sont plus notables en ce qui concerne les propriétaires. Lorsque la création d’une nouvelle entreprise est la modalité principale d’entrée, les propriétaires avec des études universitaires sont davantage représentés : ils sont 86 % à privilégier cette option contre 79 % pour les préuniversitaires. Ces derniers sont davantage tournés vers la prise de relève d’une entreprise existante (9 % contre 5 % pour les autres).

Le taux des propriétaires en exercice depuis une année, quel que soit le niveau d’études, est de 11 %. Cependant, pour les propriétaires en exercice depuis au moins cinq ans, les diplômés universitaires sont légèrement plus nombreux (32 % contre 30 %). De plus, les propriétaires avec des études universitaires semblent mieux performer en ce qui a trait à la croissance de leur chiffre d’affaires : 7,2 % d’entre eux ont vu leur chiffre d’affaires multiplier par cinq comparativement à la première année complète d’activité. Seulement 3,8 % des propriétaires ayant arrêté leurs études avant l’université ont déclaré une telle performance. Parmi les propriétaires ayant déclaré un chiffre d’affaires qui a au moins doublé, ceux avec des études universitaires gardent l’avantage (20 % contre 14 %).

Une entrée en affaires par nécessité a été plus probable pour les entrepreneurs avec des études préuniversitaires. D’ailleurs, 17 % d’entre eux ont indiqué avoir été au chômage, à la recherche d’un emploi ou au foyer avant de se lancer en affaires, contre 7 % pour les propriétaires avec des études universitaires.

La comparaison des motivations entre les différentes étapes (intentions, démarches, propriétaires) montre globalement une hiérarchie différente. Cependant, les propriétaires sans études universitaires accordent une importance systématique à la motivation financière (tableau 7.3), même s’il s’agit d’une perception en rétrospective.

TABLEAU 7.3

Motivations pour se lancer en affaires (à l’étape des propriétaires) selon le niveau d’études, Québec (novembre 2018)

Utilité perçue des études chez les propriétaires

Sans réelle surprise, les propriétaires avec un diplôme universitaire reconnaissent leur parcours d’études comme un atout, particulièrement en ce qui concerne l’acquisition des compétences spécifiques en gestion et d’un réseau de contacts (tableau 7.4).

TABLEAU 7.4

Perception de l’utilité des études par les propriétaires, selon le niveau d’études, Québec (novembre 2018)

Influence des études sur la perception des obstacles à la croissance et des modalités de sortie envisagées

Il semble que le niveau d’études ait également une influence sur la façon dont les individus appréhendent les différents obstacles inhérents à la croissance de leur entreprise, ainsi que sur les modalités de sortie envisagées.

Sur une liste de 16 obstacles, les propriétaires sans études universitaires ont reconnu plus souvent certains freins à leur activité; la hausse des coûts d’exploitation (3,62 contre 3,08), les taxes sur la masse salariale (3,38 contre 2,95), le manque de liquidité (3,50 contre 3,09) et le manque de connaissances financières (3,37 contre 2,98) étant les premiers obstacles mentionnés.

Dernier aspect notable : parmi les propriétaires ayant l’intention de quitter les affaires dans moins de 10 ans, ceux avec des études préuniversitaires souhaiteraient transmettre ou vendre leur entreprise au sein de leur famille, à un employé ou conditionnellement au maintien des emplois, alors que les propriétaires avec des études universitaires optent davantage pour la vente au plus offrant (tableau 7.5).

TABLEAU 7.5

Modalités de sortie envisagées par les propriétaires, selon le niveau d’études, Québec (novembre 2018)

Sans être l’unique explication de la volonté accrue d’entreprendre au Québec ces dernières années, l’Indice nous montre que le parcours universitaire y joue un rôle bien établi, et semble définitivement doter les entrepreneurs en devenir de savoirs, et d’un lieu de développement des compétences et de création de réseaux de contacts essentiels.

Sources

1Ces résultats sont en ligne avec plusieurs recherches faites à l’international, spécialement dans les pays développés. Cependant, des études sur des pays moins développés montrent une relation inverse (l’attrait de la stabilité du salariat pouvant être dans ces pays comme la voie de sortie logique après les études).
2ISQ, 2014; ISQ, 2017.
3ltbach et collab., 2009.
4UNESCO, 2013.
5Ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, Centres d’entrepreneuriat universitaire (CEU) (https://bit.ly/2RuQYuY).
6Ces effets doivent être compris comme un processus de diffusion d’information, et dont les réponses de la population devraient mener à une diffusion de l’innovation. En général, un groupe restreint devrait adopter rapidement l’innovation, le reste de la population nécessitant davantage de temps pour en évaluer les avantages et les désavantages. Les taux des intentions pour les différents groupes selon le niveau d’études peuvent varier selon l’« adaptabilité » possiblement plus élevée des diplômés universitaires.
7Les motivations moyennes de chaque groupe ont été calculées en utilisant une échelle Likert à 5 points (1 = Très en désaccord; 2 = Plutôt en désaccord; 3 = Ni en accord ni en désaccord; 4 = Plutôt en accord; 5 = Très en accord).
Tiré de l’Indice entrepreneurial québécois 2018 de la Fondation de l’entrepreneurship.
Novembre 2018
Auteurs : Mihai Ibanescu (Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC Montréal), Audrey Azoulay (illo pertinere), Rina Marchand (Fondation de l’entrepreneurship).