Génération X : un potentiel entrepreneurial sous-estimé
Trente-quatre pour cent (34 %) des propriétaires actifs de 50 ans et plus se sont lancés entre 35 et 49 ans
Entre les jeunes entrepreneurs aux multiples promesses – souvent collés à la « nouvelle » économie – et les plus âgés approchant la fin d’une longue carrière et possiblement préoccupés par le transfert de leur entreprise, il y a toute une génération d’entrepreneurs qui, sans être oubliés, sont très rarement placés sous le feu des projecteurs : il s’agit du groupe des 35 à 49 ans, correspondant grosso modo à la génération X, dont la maturité professionnelle les éloigne d’un dispositif de soutien entrepreneurial qui cherche plutôt à compenser l’inexpérience ou les ressources restreintes des entrepreneurs les plus jeunes. Ayant généralement un réseau d’affaires développé et une expérience professionnelle accomplie – en plus de faire face à un horizon de temps suffisamment long pour donner de la place aux plus belles ambitions –, les 35-49 ans sont reconnus pour la création d’entreprises à haut potentiel de croissance1. Cette génération mérite donc une analyse plus attentive.
Les propriétaires de 35-49 ans : un noyau dur aux attributs solides
La distribution des propriétaires selon les groupes d’âge (graphique 4.11) est forcément influencée par la structure démographique du Québec toujours marquée par une représentation importante des baby-boomers : les entrepreneurs âgés de 50 ans et plus constituent le groupe le plus important (environ 54 % des entrepreneurs, ce qui est globalement observé dans la plupart des pays occidentaux2). À lui seul, le groupe des entrepreneurs âgés de 50 à 64 ans représente 38 % des entrepreneurs, quant au groupe des 35 à 49 ans, il correspond à près d’un tiers de l’ensemble des propriétaires d’entreprises québécois, tandis que 16 % d’entre eux ont moins de 35 ans.
Entre le départ prochain des propriétaires les plus expérimentés et l’entrée récente des plus jeunes, les 35-49 ans constituent donc une cohorte « centrale » importante non seulement par son nombre, mais aussi parce qu’elle est une base entrepreneuriale qui devrait globalement rester active pendant au moins les 20 prochaines années.
D’autre part, le taux des propriétaires de chaque groupe d’âge3 (graphique 4.1) augmente avec l’âge jusqu’à la catégorie des 40-44 ans, et diminue avec les propriétaires de 60 ans et plus. La baisse très nette du taux de propriétaires après 55 ans s’explique naturellement par un départ à la retraite, souvent synonyme d’une fermeture définitive de l’entreprise qui, comme pour un grand nombre de PME, peut s’avérer trop petite pour justifier un processus de transfert. Notons également la présence assez importante des propriétaires dans les groupes de 65 ans et plus, pratiquement au même niveau que le groupe des 25 à 29 ans.
GRAPHIQUE 4.1
Taux des propriétaires par groupe d’âge, moyenne 2017 et 2018, Québec (novembre 2018)
La préoccupation plus marquée pour les jeunes entrepreneurs vient d’abord du fait que 51 % des entrepreneurs québécois actuellement de 50 ans et plus, ont effectivement démarré leur première entreprise avant l’âge de 35 ans (graphique 4.2). Ceux qui se sont lancés en affaires entre 35 et 49 ans représentent cependant 34 % des entrepreneurs, une part loin d’être négligeable, et d’autant plus importante que la maturité professionnelle de cette catégorie s’associe fort probablement à la qualité des projets entrepreneuriaux.
GRAPHIQUE 4.2
Distribution des propriétaires de 50 ans et plus selon leur âge lors de la création ou de la reprise de leur première entreprise, Québec (novembre 2018)
D’ailleurs, l’Indice révèle des caractéristiques intéressantes et concordantes avec les facteurs favorables à la qualité des projets entrepreneuriaux. Ainsi, parmi les entrepreneurs de plus de 50 ans, mais qui se sont lancés en affaires après l’âge de 35 ans, l’enquête révèle que :
- Ils se sont lancés plus souvent avec leurs propres moyens financiers, les économies personnelles représentant la totalité ou la grande partie des montants initiaux pour 74 % d’entre eux, (45 % pour les 50 ans et plus qui se sont lancés avant l’âge de 35 ans).
- Leur volonté de faire croître l’entreprise, quel que soit le mode de croissance, est beaucoup plus manifestée : cette volonté est exprimée par 30 % de ceux qui se sont lancés en affaires après 35 ans, contre 9 % seulement pour ceux qui ont commencé avant 35 ans.
- S’ils sont plus nombreux à envisager la fermeture prochaine de leur entreprise (12 % pour les 50 ans et plus comparativement à 4 % pour les autres), une majorité souhaite garder le même niveau d’activité pour l’année prochaine (50 % contre 51 %), et seulement 17 % pensent la réduire (contre 21 % pour les autres entrepreneurs).
- Ils ont une plus grande tolérance au risque que ceux qui ont débuté avant leurs 35 ans (score Z de 0,14 contre -0,03). Ils apparaissent également plus proactifs (score Z de 0,33 contre 0,17).
- Une espérance de vie des Québécois plus grande qu’auparavant laisse présager une activité entrepreneuriale plus longue pour ce groupe d’âge. En effet, l’espérance de vie moyenne de la population dans son ensemble s’est améliorée au Québec. Elle est de 82,5 ans à la naissance et de 21 ans pour les personnes de 65 ans5, alors que cette espérance de vie à la naissance était de moins de 71 ans en 19606. Ce gain de plus de 11 ans (pour l’espérance de vie à la naissance) signifie une prolongation de la vie potentiellement active. En considérant qu’une partie plus importante de la population retarde son entrée dans la vie active en raison des études universitaires, on peut observer aussi un déplacement de la partie active de la vie d’un individu vers des âges plus élevés, simultanément avec cette prolongation (potentielle) de la vie active, ce qui peut soulever des interrogations quant à l’utilisation des intervalles classiques (18 à 34 ans, 35 à 49 ans et 50 à 64 ans).
Les intentions des 35 à 49 ans : les femmes plus présentes
Au cours des dernières années, le taux d’intention entrepreneuriale a, en général, fortement augmenté. Pour les personnes âgées de 35 à 49 ans, le taux d’intention a quasiment triplé en six ans, passant de 9 % en 2012 à 26 % en 2018, après avoir atteint un pic de 34 % en 2016 (graphique 4.3). Il s’agit d’un taux d’intention qui reste particulièrement élevé, et ce, malgré la baisse des deux dernières années probablement due à la robustesse du marché de l’emploi, forcément en concurrence avec les possibilités d’une carrière entrepreneuriale.
GRAPHIQUE 4.3
Évolution du taux d’intention de se lancer en affaires, groupe des 35 à 49 ans, Québec (novembre 2018)
Les intentions entrepreneuriales des 35-49 ans sont relativement fortes : si ce groupe d’âge représente 25 % de la population adulte du Québec, il représente 33 % des personnes exprimant l’intention de se lancer en affaires (incluant les propriétaires voulant créer une autre entreprise), ou 30 % des personnes qui ne sont pas encore propriétaires d’une entreprise.
L’enquête révèle également que le taux d’intention des femmes de 35 à 49 ans est légèrement supérieur à celui des hommes du même âge (respectivement 28 % et 25 %). À noter que pour passer plus rapidement aux démarches, les femmes de ce groupe d’âge semblent accorder plus d’importance que les hommes à l’obtention d’information sur le démarrage d’entreprises (4,21 contre 4,12), au soutien de l’entourage (4,16 contre 4,03) et aussi à la motivation personnelle de passer à l’action (4,53 contre 4,46).
Par ailleurs, ce groupe d’âge est davantage attiré par le rachat d’une nouvelle entreprise : ils sont 8 % dans cette catégorie à privilégier la prise de relève d’une entreprise existante contre 4 % pour la moyenne des autres catégories d’âge.
Les 35-49 ans apparaissent également plus pressés : 59 % d’entre eux souhaitent passer des intentions aux démarches en moins de trois ans, alors que les moins de 35 ans ne sont que 33 % à envisager un tel rythme7. Cet empressement est expliqué autant par l’âge que, probablement, par une maturité professionnelle permettant d’évaluer plus rapidement la faisabilité d’une idée d’affaires. Parmi les motivations des personnes avec des intentions de se lancer en affaires, deux sont à un niveau supérieur pour ce groupe d’âge par rapport aux autres : continuer la tradition familiale8 (moyenne9 de 2,48 contre 2,38 pour les autres groupes d’âge), ou encore une insatisfaction avec l’ancien emploi (3,14 contre 3,06). Les autres motivations, telles que celles reliées à la réalisation d’un rêve ou à l’idée d’exploiter une occasion d’affaires, sont légèrement moins fortes que chez les plus jeunes, probablement en raison d’une rationalité qui dépasse peut-être l’enthousiasme des plus jeunes.
Le passage des intentions aux démarches
Pour les personnes à l’étape de démarches, les principales motivations de se lancer en affaires des sont à des niveaux semblables à celles des personnes à l’étape des intentions, avec quelques différences. Plus particulièrement, les hommes apparaissent plus motivés par la continuité de la tradition familiale (3,1710 contre 2,50 seulement chez les femmes). Leur insatisfaction par rapport à leur ancien emploi est également une raison plus forte que chez les femmes de se lancer en affaires (3,74 contre 3,05). En revanche, les femmes accordent un peu plus d’importance au fait d’exploiter une bonne idée d’affaires (4,09 pour les femmes contre 4,05 pour les hommes).
De plus, la probabilité que les individus de ce groupe d’âge soient passés des intentions aux démarches reste clairement supérieure à celle des autres groupes d’âge : en 2018, cette probabilité à se trouver à l’étape de démarches est estimée à 49 % pour les personnes de 35 à 49 ans exprimant des intentions et à 41 % pour les plus jeunes, une différence à associer à un niveau d’expérience et à une stabilité financière probablement plus élevés.
Soulignons que la probabilité que les individus de 35 à 49 ans passent des intentions aux démarches est légèrement supérieure pour les hommes de ce groupe (51 % contre 47 % pour les femmes), et dans l’ensemble définitivement supérieure que pour les 18 à 34 ans (40 % pour les jeunes hommes et 43 % pour les jeunes femmes). Ces différences considérables entre les groupes d’âge montrent l’importance d’un soutien adéquat et spécifique pour l’entrée entrepreneuriale de la génération X.
À noter que le groupe des 50 ans et plus, pourtant le plus pressé de passer à l’action (théoriquement), n’a pas une probabilité supérieure : 48 %.
Quant à l’évolution récente du taux de démarches pour ce groupe d’âge, il est dans la tendance observée pour l’ensemble (graphique 4.4), avec une diminution récente sous l’effet de l’embellissement économique. Comme pour le taux d’intention du groupe, le taux de démarches est très légèrement supérieur pour les femmes de 35 à 49 ans (13,3 %) que pour les hommes (12,6 %).
GRAPHIQUE 4.4
Évolution du taux de démarches, groupe des 35 à 49 ans, Québec (novembre 2018)
Rappelons que le taux des démarches démontre un état « transitoire » de l’entrepreneur en devenir. En effet, d’une année à l’autre, pour un territoire donné, l’instabilité de ce taux démontre fort bien que la volonté des individus qui ont l’intention de se lancer en affaires, potentiellement couplée avec des ressources suffisantes et un écosystème soutenant, peuvent faire passer ces individus très rapidement de « rêveur » à l’état d’entrepreneur confirmé (propriétaire), sans s’attarder au stade intérimaire de « démarcheurs ». Évidemment, le taux des démarches peut faire aussi les frais du chemin inverse (c’est-à-dire l’abandon du projet entrepreneurial).
Au-delà de ce que signifient ces données sur l’importance de l’accompagnement des plus jeunes « démarcheurs » pour faciliter la réalisation de leur projet, l’avantage de l’expérience des individus plus âgés à cette étape se confirme justement dans le niveau d’avancement du projet entrepreneurial :
- Les compétences techniques et organisationnelles semblent plus accomplies chez les 35-49 ans que chez les plus jeunes (59 % déclarent avoir investi et acquis le niveau de compétences désiré, contre 51 % pour les 18 à 34 ans).
- Le développement du réseau de contacts d’affaires est jugé un peu plus satisfaisant chez les 35-49 ans (54 %) que chez les plus jeunes (50 %).
- Par contre, ils apparaissent plus pénalisés lorsqu’il s’agit de trouver de l’accompagnement (31 % contre 39 % pour les jeunes).
- Les perceptions concernant les obstacles rencontrés sont similaires, à l’exception du niveau des économies personnelles, qui reste toujours l’enjeu principal, mais clairement moins important (51 % pour les 35-49 ans contre 60 % pour les moins de 35 ans).
- Vouloir s’internationaliser n’est pas nécessairement l’apanage des plus jeunes entrepreneurs puisque les groupes d’âge des 18-34 ans et des 35-49 ans sont pratiquement identiques à cet égard (respectivement 24 % et 25 %).
La culture entrepreneuriale et les caractéristiques individuelles
Les individus de 35 à 49 ans reconnaissent le plus que l’enrichissement personnel d’un entrepreneur serait sain (70 % d’entre eux, contre 64 % pour l’ensemble de la population). Les autres aspects de la culture entrepreneuriale montrent des différences minimes, comme pour l’entrepreneuriat à titre de choix de carrière optimal (33 % pour les 35-49 ans, 36 % pour les jeunes), la préférence pour une carrière en administration publique (27 % contre 25 %), ou encore pour un emploi dans une grande entreprise (17 % contre 19 %).
Les hauts taux d’intention et de démarches du groupe des 35 à 49 ans proviennent probablement d’une reconnaissance supérieure à celle des jeunes de l’expérience accumulée, utile pour se lancer en affaires (tableau 4.1). À noter que ce sont tous les individus de la chaîne entrepreneuriale (excepté les propriétaires d’entreprises) ainsi que les individus hors processus qui ont répondu à cette série de questions. En ce qui concerne les personnes affirmant leurs intentions entrepreneuriales, les différences de perceptions concernant cette expérience professionnelle sont encore plus saisissantes : les 35 à 49 ans ont une moyenne de 3,62 contre 3,18 pour les jeunes, alors que les femmes de 35 à 49 ans, avec une moyenne de 3,46, dépassent la perception des jeunes hommes (3,32). Ainsi, l’acceptation du risque, comme un facteur extrêmement important pour la formation des intentions entrepreneuriales chez les jeunes, fait plus de place à la possession de l’expérience professionnelle dans le cas de la génération X.
TABLEAU 4.1
Perceptions des caractéristiques individuelles favorisant le lancement en affaires, 18-34 ans et 35-49 ans, Québec (novembre 2018)
Les 35-49 ans, pris entre deux générations aux problématiques assez différentes, semblent avoir été quelque peu oubliés des analyses, mais aussi – et surtout – du dispositif de soutien entrepreneurial. Il faut dire que leur expérience accumulée, le pragmatisme de l’âge et la relative stabilité financière qui caractérisent en général ce groupe d’âge les rendent possiblement moins vulnérables face aux multiples obstacles de l’aventure entrepreneuriale. Cependant, leur potentiel, notamment en ce qui a trait à la qualité des projets entrepreneuriaux, fait de leur succès une nécessité tout aussi sérieuse que celle des générations plus jeunes.
Sources
1Azoulay et collab., 2018.
2Pour diminuer l’influence de la marge d’erreur (groupes d’âge dans un échantillon modeste), le graphique cumule les données de 2017 et de 2018.
3Evans et Leighton, 1989.
4Le taux de propriétaires pour un groupe d’âge représente le rapport entre le nombre de propriétaires dans l’échantillon de ce groupe d’âge et le nombre total de répondants dans le même groupe. Ce taux élimine l’influence d’un poids trop important d’un groupe d’âge dans la population totale.
5ISQ, 2018 (http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/population-demographie/deces-mortalite/4p1.htm).
6Fournier et Lapierre-Adamcyk, 1992.
7De la même manière, les 35-49 ans sont plus nombreux à vouloir passer en moins de trois ans au statut de propriétaire (48 % contre 33 % dans le cas des moins de 35 ans).
8Ce sont plus les femmes que les hommes du groupe des 35 à 49 ans qui apparaissent plus motivées à maintenir la tradition familiale (2,53 contre 2,42).
9Les répondants ont eu à choisir sur une échelle Likert à 5 points (1 = Très en désaccord; 2 = Plutôt en désaccord; 3 = Ni en accord ni en désaccord; 4 = Plutôt en accord; 5 = Très en accord). La moyenne d’un groupe est la moyenne arithmétique des réponses des individus dans le groupe.
10Moyenne sur 5 (échelle Likert utilisée).