Entrepreneuriat féminin : accélération en cours

Nouveaux entrepreneurs : parité confirmée depuis deux ans

Les précédentes éditions de l’Indice ont souligné l’importance de l’entrepreneuriat féminin, malgré le fait que les femmes entrepreneures restent globalement moins nombreuses que les hommes. De nombreuses études – dont canadiennes1 – ont confirmé le fait que, partout dans le monde, les femmes sont moins présentes dans le cycle entrepreneurial que les hommes, mais que le Canada, avec un nombre restreint d’autres pays, se démarque avec une part qui dépasse 30 % d’entrepreneurs femmes parmi les propriétaires d’entreprises : avec 41 % de femmes parmi les propriétaires d’entreprises (40 % en 2017), le Québec affiche donc une performance particulièrement bonne. Encore plus si l’on examine les récentes entrées en affaires des femmes. De ce point de vue, tous les espoirs sont permis.

L’entrepreneuriat : un choix de carrière aussi important chez les femmes que chez les hommes

Les perceptions2 sur le rôle des entrepreneurs dans la société, notamment sur leurs façons de travailler ou leur place parmi les figures sociales, sont à la base de la culture entrepreneuriale, et elles influencent clairement l’attractivité d’une « carrière » d’entrepreneur.

Si ces perceptions restent globalement similaires entre les femmes et les hommes, les différences de perception3 sont davantage marquées selon la présence ou non des individus dans la chaîne (tableau 1.1). On peut néanmoins affirmer que les femmes pensent davantage que les hommes qu’un entrepreneur doit travailler au moins 70 heures par semaine, et qu’elles reconnaissent davantage les gens qui réussissent en affaires comme un modèle pour la communauté. Par contre, les femmes reconnaissent de manière plus retenue que les hommes le caractère généralement honnête des entrepreneurs.

TABLEAU 1.1

Perceptions concernant l’entrepreneuriat et les entrepreneurs, selon le sexe et la présence dans la chaîne entrepreneuriale, Québec (novembre 2018)

* PDP signifie « Pas dans le processus », donc des individus qui ne sont pas dans la chaîne entrepreneuriale (intentions, démarches, propriétaires ou fermetures).

L’honnêteté des entrepreneurs, leur implication dans la communauté et l’acquisition juste et équitable de leur richesse sont moins reconnues par les femmes qui sont en dehors de la chaîne entrepreneuriale que celles qui sont engagées à l’étape des intentions ou des démarches. Cette différence de perception selon le fait d’être ou non présent dans la chaîne se retrouve aussi pour les hommes, mais à un degré moindre.

Cela confirme la relation positive entre une culture entrepreneuriale forte, les intentions de se lancer en affaires et l’importance d’encourager une perception favorable du rôle des entrepreneurs dans la société. L’enquête reconnaît en effet certains segments de la population, spécialement les femmes hors processus, qui porteraient un regard moins positif sur les entrepreneurs.

En ce qui concerne le choix optimal de carrière des individus, les intentions entrepreneuriales semblent assez concordantes avec le statut actuel des individus :

  • Parmi les personnes ayant exprimé leurs intentions de se lancer en affaires, 68 % des femmes affirment que l’entrepreneuriat est un choix de carrière optimal, un taux similaire aux hommes (69 %). Le tiers restant, privilégiant une autre carrière, est probablement plus « volatil » et est plus susceptible de renoncer à l’entrepreneuriat devant une option plus avantageuse.
  • Pour les individus en dehors de la chaîne entrepreneuriale, l’écart est légèrement plus notable en ce qui concerne l’attrait d’une carrière entrepreneuriale (12 % pour les femmes, 18 % pour les hommes). Les hommes ont une préférence particulière pour un emploi dans une grande entreprise (26 %), alors que les femmes préfèrent largement un emploi dans l’administration (32 %) ou dans une PME (23 %).

L’influence du milieu familial sur l’émergence des intentions d’entreprendre est clairement reconnue dans le cadre de l’enquête. Moins remarquée, mais tout de même à souligner, l’influence exercée par les intervenants scolaires est jugée positive pour 36 % des femmes et pour 35 % des hommes à l’étape des intentions. Cette reconnaissance est partagée, dans une moindre mesure, par 24 % des femmes et 17 % des hommes de 18 à 49 ans qui sont hors processus.

Attraits et appréhensions face au risque de l’entrepreneuriat : des leviers évidents

L’émergence des intentions entrepreneuriales dépend grandement des attraits4 de l’entrepreneuriat reconnus par chacun des individus ou de leurs appréhensions face au risque. Ainsi, pour les individus qui ne sont pas dans la chaîne entrepreneuriale :

  • Les femmes apparaissent moins intéressées que les hommes du même groupe par la possibilité d’atteindre une meilleure position dans la société (respectivement 2,52 contre 2,78), de gagner beaucoup d’argent (2,83 contre 3,07), ou encore de relever les défis quotidiens du monde des affaires (2,53 contre 2,72). Par contre, les femmes et les hommes de ce groupe reconnaissent de la même manière l’avantage avec l’entrepreneuriat d’améliorer l’équilibre travail-famille (2,80 contre 2,83). La flexibilité au travail possible avec l’entrepreneuriat est aussi plus souvent appréciée par les femmes de 35 à 49 ans (41 %) que par les hommes du même âge (30 %). De manière similaire, les femmes de cet âge reconnaissent plus l’avantage de quitter un emploi insatisfaisant (28 % ont répondu « extrêmement attrayant ») que les hommes (22 %).
  • Les femmes sont globalement plus sensibles que les hommes sur l’importance de réaliser leur rêve ou leur passion. Parmi les femmes, celles de 18 à 34 ans le mentionnent néanmoins davantage que celles de 35 à 49 ans (44 % et 36 % respectivement ont répondu « extrêmement attrayant »).
  • Les perceptions sur l’autoefficacité semblent particulièrement importantes pour l’affirmation des intentions entrepreneuriales : les jeunes hommes, avec ou sans intentions de se lancer en affaires, sont beaucoup plus sûrs d’être en possession des capacités et des compétences requises pour se lancer en affaires (37 % d’accord); cette confiance baisse cependant avec l’âge (28 % pour les hommes de 35 à 49 ans). Du côté des femmes, la perception de cette possession, très rare pour les jeunes femmes, augmente fortement avec l’âge (15 % pour les jeunes femmes, 31 % pour celles de 35 à 49 ans). Ces résultats concordent avec l’enquête de 2017 qui, pour la première fois, se penchait sur cet aspect.
  • La propension à prendre des risques est significativement supérieure pour les hommes, quel que soit leur âge5. Une majorité d’hommes privilégie l’impétuosité, la prise de risque et se reconnaissent davantage comme entrepreneurs « naturels ». Les femmes conçoivent davantage l’idée entrepreneuriale comme une construction, au fur et à mesure de l’acquisition des compétences, de l’expérience et de la croissance de leur confiance.

La croissance des intentions est ferme chez les femmes

Les femmes ont toujours montré des taux d’intention de se lancer en affaires plus faibles que les hommes, mais un certain rattrapage semble être amorcé. Comme démontré dans le graphique 1.1, la progression du taux d’intention chez les femmes a ralenti au cours des dernières années. Par contre, chez les hommes, le taux d’intention affiche en 2018 une seconde baisse consécutive.

GRAPHIQUE 1.1

Évolution des taux d’intention, selon le sexe, Québec, 2009-2018 (novembre 2018)

Depuis le sommet observé en 2014, l’écart des taux d’intention des hommes et des femmes ne cesse de se rétrécir depuis (un écart de 10,4 points de pourcentage en 2014 à 4,8 points de pourcentage en 2018). Il est possible que les femmes soient devenues moins sensibles que les hommes (spécialement les hommes sans études universitaires) à l’évolution récente du marché de l’emploi, marché qui a été marqué – ces deux dernières années – par une création d’emplois importante. Il ne faut pas oublier non plus les nombreuses initiatives mises en place ces dernières années et visant la sensibilisation à l’entrepreneuriat féminin.

L’augmentation des taux d’intention chez les femmes est confirmée par le fait que 23 % de celles qui ont de telles intentions ont développé leur volonté de se lancer en affaires au cours de la dernière année (15 % pour les hommes). Cependant, le besoin de réduire le risque perçu pour se lancer en affaires reste plus fort chez les femmes : elles privilégient davantage l’idée de se lancer en affaires avec le conjoint (23 % sont « très en accord », contre 15 % pour les hommes); « avoir un partenaire pour partager les risques et les coûts » a été un accélérateur pour passer aux démarches pour 29 % des femmes, contre 24 % pour les hommes. Enfin, elles accordent davantage d’importance à l’aide d’un conseiller en démarrage (34 % contre 27 %).

Enfin, alors que le taux d’intention (tout comme celui lié aux démarches) a connu une croissance nettement plus soutenue chez les répondants ayant un diplôme universitaire (voir le thème Études universitaires du présent Indice), rappelons que le taux de diplomation universitaire chez les femmes a également connu un bond extraordinaire comparativement à celui des hommes. En effet, le taux des femmes au Québec, en 2016, avec des études universitaires pour le groupe des 25 à 64 ans est devenu supérieur à celui des hommes6 (33,6 % contre 28,2 %). Des données qui sont l’une des pistes pouvant expliquer les courbes de plus en plus convergentes entre les femmes et les hommes en ce qui concerne les taux d’intention et des démarches, les femmes avec des études universitaires ayant récemment des taux (intentions ou démarches) supérieurs à ceux des hommes avec des études préuniversitaires.

Démarches : l’écart entre les taux féminin et masculin continue à diminuer

Le graphique 1.2 nous indique que l’augmentation du taux de démarches chez les femmes a été très nette jusqu’en 2014, année à partir de laquelle ce taux a atteint un plateau. Du côté des hommes, force est de constater que leur taux de démarches diminue depuis 2015, le tout réduisant l’écart entre les femmes et les hommes.

Soulignons également qu’en 2018, le rapport femmes-hommes en ce qui concerne les démarches est supérieur au Québec (73 %) comparativement à une majorité de pays où l’économie est tirée par l’innovation, dont le rapport moyen7 est de 60 %; cela montre une très bonne participation des femmes pour l’ensemble de la province.

GRAPHIQUE 1.2

Évolution des taux de personnes à l’étape des démarches, par sexe, Québec, 2009-2018 (novembre 2018)

L’augmentation observée du taux d’intention chez les femmes se répète également avec le taux de démarches : 49 % d’entre elles ont commencé les démarches depuis moins d’une année (contre 29 % seulement pour les hommes)8. Parmi les personnes qui ont commencé leurs démarches au cours des 12 derniers mois, 53 % des femmes de 18 à 34 ans l’ont fait au cours des 12 derniers mois, comme 48 % des femmes du groupe de 35 à 49 ans (mais seulement 34 % et 19 % pour les hommes des mêmes groupes d’âge). Le dynamisme récent des femmes dans le passage à l’étape des démarches justifie – dans une certaine mesure – le fait qu’elles aient eu moins de temps que les hommes, également en démarches, pour développer ou obtenir certaines ressources. En effet, parmi les indicateurs utilisés pour jauger le degré d’avancement des démarches, l’on note que les femmes n’ont pas particulièrement progressé en ce qui concerne l’amélioration de leurs compétences techniques et commerciales (18 % pour les hommes contre 8 % pour les femmes), le développement d’un réseau de contacts d’affaires (17 % contre 7 %) et le fait d’acquérir ou de sécuriser des ressources financières (25 % contre 9 %).

Parité du côté des récents propriétaires

Les femmes ont-elles commencé à être plus présentes dans le paysage entrepreneurial québécois? L’enquête de 2018 semble le confirmer9. Si, en 2017, la proportion de femmes parmi les nouveaux entrepreneurs (propriétaires depuis moins d’un an) se situait à 51,4 %, elle s’établit en 2018 à 47,4 %; la différence étant en deçà de la marge d’erreur. En ce sens, nous pouvons donc globalement observer une parité parmi les récents propriétaires. Si cette accélération déjà observée dans l’Indice 2017 se maintient, la convergence du taux global des propriétaires selon le sexe devrait être observée à moyen ou à long terme.

Profils de propriétaires : progression lente, mais visible, des femmes parmi les Chefs de file

Les éditions précédentes de l’Indice ont montré que les femmes propriétaires étaient plus présentes dans les profils de l’Individualiste ou de l’Enraciné. En effet, l’orientation vers le travail autonome est une constante; l’idée de ne pas avoir d’employés au moment de l’entrée en activité est un peu plus souvent rencontrée pour les femmes (28 % contre 25 % pour les hommes), tout comme celle de limiter leur équipe à trois employés (54 % contre 48 % pour les hommes). En même temps, les femmes envisageant de démarrer avec 10 employés et plus sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes (9 % contre 6 %). L’orientation de l’activité à l’international est toutefois plus fréquente chez les hommes (29 % contre 23 % pour les femmes), tout comme la volonté d’investir dans l’innovation dès le début des activités (58 % contre 46 % pour les femmes).

Comme montré dans l’Indice 2016, peu de femmes sont comptées parmi les Chefs de file (23 % seulement). Si l’on ne peut s’attendre à des évolutions rapides, et malgré le fait que la taille restreinte de l’échantillon oblige à une prudence dans l’analyse, les femmes parmi les Chefs de file ont augmenté à 27 % en 2018.

Pratiquement une femme propriétaire sur deux se retrouve parmi les Individualistes, ce qui explique le fait que les femmes ont fait des investissements initiaux plus petits (77 % d’entre elles se limitent à un investissement initial de 20 000 $ ou moins, contre 63 % pour les hommes).

En général, les femmes reconnaissent de manière similaire aux hommes le rôle des études pour la préparation des activités entrepreneuriales. Cependant, les femmes affirment moins que leurs études leur ont permis d’acquérir les compétences spécifiques en gestion d’affaires (40 % en accord avec l’affirmation, contre 50 % pour les hommes) ou des compétences nécessaires au démarrage (43 % contre 64 %). Conséquemment, les difficultés à la croissance sont davantage mentionnées par les femmes, telles que le manque d’expertise et de savoir-faire (40 % contre 35 %), le manque de soutien technique (38 % contre 30 %) ou le manque d’expertise en marketing (45 % contre 36 %). Par ailleurs, les femmes déclarent que le conseil technique est le premier besoin de soutien à l’innovation (16 % d’entre elles), alors que les hommes ont davantage besoin de « contacts influents » (19 %) et de conseils techniques (18 %).

La présence des femmes au sein de l’entrepreneuriat québécois est de plus en plus robuste. Elle est d’abord portée par un taux d’intention qui ne cesse de croître. Elle est ensuite soutenue par un taux de démarches chez les femmes qui, même s’il a atteint un plateau ces dernières années, se rapproche du taux masculin en raison de la décroissance du dernier. Enfin, elle bénéficie de l’arrivée récente d’un plus grand nombre de femmes que d’hommes chez les propriétaires d’entreprises. Un changement de cap semble réellement amorcé.

Sources

1Brush et collab., 2017; Gupta et collab., 2008; Marlow et Patton, 2005; Kariv, 2013.
2Seules les personnes de 18 à 64 ans sont ici considérées.
3Moyennes sur 5. Une moyenne proche de 3,00 indique une distribution presque égale entre l’accord et le désaccord. Plus la moyenne se rapproche de 5,00, plus le nombre de répondants « très en accord » avec l’énoncé est grand.
4Les attraits d’une possible carrière entrepreneuriale ont été mesurés avec une échelle Likert à 4 niveaux : 1 = Aucunement attrayant; 2 = Peu attrayant; 3 = Très attrayant; 4 = Extrêmement attrayant.
5L’enquête de 2017 a relevé les opinions concernant la « prédisposition par défaut » des sexes envers l’action d’entreprendre, et la présence de certaines aptitudes ou de caractéristiques nécessaires à l’entrepreneuriat. Les données suggèrent que les femmes et les hommes ont tendance à suivre des cheminements différents en entrepreneuriat.
6Institut de la statistique du Québec, 2017.
7Global Entrepreneurship Monitor (GEM), Women’s Entrepreneurship 2016/2017 Report, p. 17.
8Au total, les femmes représentent 44 % du nombre des personnes à l’étape de démarches (mais 57 % des personnes ayant commencé les démarches durant la dernière année).
9En 2018, 11 % des entrepreneurs le sont devenus au cours de la dernière année, la moyenne de ce taux est de 13 % pour les femmes (10 % seulement pour les hommes). Plus encore, 31 % des femmes actuellement propriétaires le sont devenues au cours des trois dernières années, contre 26 % pour les hommes.
Tiré de l’Indice entrepreneurial québécois 2018 de la Fondation de l’entrepreneurship.
Novembre 2018
Auteurs : Mihai Ibanescu (Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC Montréal), Audrey Azoulay (illo pertinere), Rina Marchand (Fondation de l’entrepreneurship).