Génération Y : une vague de futurs entrepreneurs à soutenir

Quarante-trois pour cent (43 %) des jeunes à l’étape des démarches ont entrepris de le faire depuis moins d’un an

Au cours de la dernière décennie, plusieurs programmes et plans d’action mis en place par les différents paliers du gouvernement ont, en général, été conçus pour sensibiliser les jeunes à l’entrepreneuriat et pour soutenir les jeunes entrepreneurs qui, aux premières années de leur carrière, avec plus ou moins d’expérience, peuvent néanmoins choisir la voie de l’entrepreneuriat sans disposer de toutes les ressources ou les compétences nécessaires. De plus, il se trouve que de nombreux traits de personnalité, déterminants à la culture entrepreneuriale, se forment largement pendant l’adolescence1, mais que le potentiel à entreprendre peut se réduire avec le temps s’il n’est pas exercé par l’individu. Ce groupe, dont le taux d’intention a triplé et le taux des démarches quintuplé en une décennie, qui est plus scolarisé que jamais au Québec2, représente aussi, grosso modo, ce que nous appelons la génération Y.

Culture entrepreneuriale des jeunes : retenue, mais en progression

La culture entrepreneuriale est considérée comme une base importante pour l’émergence des intentions entrepreneuriales. Quels que soient les déséquilibres d’un marché, les occasions d’affaires peuvent poindre. Elle est porteuse d’idées novatrices et, en synchronisation avec d’autres facteurs socioéconomiques, peut ainsi permettre la rétention des entrepreneurs à fort potentiel.

Cela dit, la culture entrepreneuriale agit d’abord et avant tout comme un terreau fertile où l’on peut particulièrement « nourrir » les perceptions favorables à l’entrepreneuriat et démystifier les requis pour se lancer en affaires. Et c’est exactement ce qui s’est passé au Québec depuis la première édition de l’Indice en 2009! Les résultats les plus éloquents de ce long travail (qui n’est jamais terminé…) sont sans conteste visibles au sein des jeunes Québécois, pour lesquels l’attirance pour le « métier » d’entrepreneur n’est plus à prouver si l’on en juge le bond extraordinaire du taux d’intention entrepreneuriale (passant de 11,0 % en 2009 à 36,9 % en 2018). D’ailleurs, le groupe des jeunes femmes semble encore plus « perméable » à l’idée de se lancer en affaires, si l’on porte attention aux résultats parmi les jeunes et nouvelles entrepreneures (voir le thème « Entrepreneuriat féminin » de l’Indice 2018). Cela dit, du travail reste à faire, car tous les indicateurs ne sont pas nécessairement au vert.

Au Québec, et dans l’ensemble, la culture entrepreneuriale est appuyée par une opinion positive clairement dominante sur le rôle de l’entrepreneuriat et des entrepreneurs dans la société3. Conformément aux résultats des dernières années, on notera cependant que cette opinion positive est quelque peu moins fréquente chez les jeunes. Cependant, depuis 2009, certaines perceptions évoluent en faveur d’une opinion de plus en plus positive parmi les jeunes : le rôle des entrepreneurs en tant que créateurs de richesse et d’emplois ainsi que leur implication dans leur communauté sont deux aspects de mieux en mieux reconnus (opinions positives croissantes de 57 % à 76 % et de 52 % à 59 % entre 2009 et 2018).

Malgré la reconnaissance croissante des jeunes vis-à-vis des entrepreneurs, leur opinion positive reste inférieure à celle de la moyenne totale des répondants, qui a augmenté de 62 % en 2009 à 79 % en 2018 pour le rôle des entrepreneurs en tant que créateurs de richesse et d’emplois, et de 53 % à 59 % pour leur implication dans la communauté.

Cependant, les jeunes hors processus entrepreneurial ont une perception relativement faible en ce qui concerne le caractère sain de l’enrichissement personnel d’un entrepreneur : en 2018, 46 % étaient d’accord et 15 % étaient en désaccord, une perception qui est en baisse continue depuis 2015.

Cela dit, les jeunes semblent plus que jamais reconnaître l’option de l’entrepreneuriat ou l’idée de travailler à son compte comme étant un choix optimal4 de carrière (tableau 3.1).

TABLEAU 3.1

Choix optimal de carrière, selon le groupe d’âge, Québec, 2013 et 2018 (novembre 2018)

Des intentions exceptionnellement hautes, mais un besoin d’accompagnement évident

Les jeunes dominent par un taux d’intention entrepreneuriale exceptionnellement haut (dépassant probablement tout ce qui aurait pu être envisagé!), malgré le fait que ce taux semble avoir récemment atteint un plafond (graphique 3.1), voire une baisse d’ampleur variable pour certains sous-groupes, particulièrement les jeunes hommes5 (graphique 3.2). Au-delà du « volume » des intentions, l’enjeu de l’entrepreneuriat chez les jeunes se trouve très certainement sur la qualité de la préparation vers l’étape des démarches et de la propriété de leur entreprise.

GRAPHIQUE 3.1

Évolution du taux d’intention, population totale et jeunes, Québec, 2009 à 2018 (novembre 2018)

GRAPHIQUE 3.2

Évolution du taux d’intention des jeunes, selon le sexe, Québec, 2009 à 2018 (novembre 2018)

L’augmentation du taux d’intention observée au cours des dernières années est appuyée par le fait que 67 % des jeunes souhaitant se lancer en affaires ont développé leurs intentions depuis moins de trois ans, et que 20 % des jeunes les ont déclarées depuis moins d’une année (25 % pour les jeunes femmes).

Cependant, cet élan dans les intentions est réduit par un temps nécessaire – particulièrement plus long – pour passer aux démarches et à la possession de l’entreprise : seulement 33 % des jeunes estiment mettre sur pied leur projet entrepreneurial en moins de trois ans, et environ la même proportion d’entre eux pensent avoir besoin de plus de six ans. Alors que le manque d’argent est le principal obstacle pour l’ensemble des individus à l’étape des intentions, les jeunes sont, de façon attendue, plus nombreux que les autres à mentionner la nécessité de finir les études en cours.

Parmi les facteurs qui pourraient accélérer le passage des jeunes à l’étape des démarches, l’accompagnement d’un mentor est « très important » pour 35 % des jeunes (contre 19 % pour les autres de 35 ans et plus), de même pour la présence d’un conseiller pour faciliter le démarrage (36 % contre 24 %). De plus, 50 % des jeunes réclament de « l’information sur le démarrage des entreprises » (33 % pour les autres), signe – entre autres – que les jeunes doivent faire plus d’efforts personnels pour retrouver l’information d’intérêt, dont les sources de diffusion se sont tout de même multipliées au cours des dernières années.

Alors que 72 % des jeunes ayant des intentions entrepreneuriales déclarent avoir le leadership nécessaire pour se lancer en affaires, 40 % d’entre eux déclarent ne pas avoir un niveau satisfaisant de capacités ou des compétences requises. Toutes leurs autres perceptions sur leur autoefficacité sont également faibles (moins de 50 % déclarent avoir un niveau satisfaisant à cet égard).

Des démarches récentes, mais qui tendent à s’éterniser

À l’étape des démarches, une effervescence se fait sentir parmi les jeunes : près de 80 % d’entre eux déclarent avoir commencé les démarches au cours des trois dernières années (taux similaire pour les autres groupes d’âge), et 43 % depuis seulement une année (33 % pour les autres). Ce taux de jeunes et nouveaux « démarcheurs » est très important par rapport à 2009. Non seulement il est le double de celui observé lors de la première édition de l’Indice (20 % des jeunes « démarcheurs » avaient alors amorcé leur processus depuis un an), mais le taux des jeunes à l’étape des démarches a quant à lui quintuplé, passant de 2,4 % à 15,2 %. Cependant, le début des activités au cours de l’année suivante est moins fréquemment envisagé par les jeunes (16 % contre 25 %).

La création d’une nouvelle entreprise apparaît plus importante pour les jeunes à l’étape des démarches (74 %) que pour les autres (68 %). Parmi les obstacles perçus et pour lesquels les jeunes se démarquent par rapport aux autres groupes d’âge, « la complexité administrative, légale ou fiscale » est jugée très ou extrêmement difficile pour 57 % des jeunes (47 % pour les autres). Si cette difficulté est possiblement liée à un manque de préparation, le fardeau réglementaire lié au démarrage d’entreprise reste globalement élevé.

Rajeunissement en cours du taux de propriétaires

Il serait logique que le taux de propriétaires chez les jeunes soit inférieur à celui de l’ensemble de la population, étant donné le fait que le début en affaires peut arriver à n’importe quel âge. Cependant, le taux des propriétaires parmi les jeunes a légèrement augmenté de 3,8 % à 3,9 % entre 2009 et 2018, alors que le taux pour l’ensemble de la population a baissé de 7,2 % à 6,3 % au cours de la même période. Ainsi, le taux des propriétaires6 des jeunes est passé de 53 % à 62 % par rapport à celui de l’ensemble de la population entre 2009 et 2018. Même si les variations sont très faibles et à l’intérieur des marges d’erreur, on peut affirmer qu’un certain rajeunissement des propriétaires est en cours. D’ailleurs, en 2018, 29 % des jeunes propriétaires affirment s’être lancés en affaires durant la dernière année, alors que la moyenne d’ensemble se situe à 11 % seulement.

L’enquête fait ressortir un aspect important : le nombre de personnes qui passent sans détour d’étudiant à propriétaire d’entreprise est de plus en plus important. Ainsi, 34 % des jeunes propriétaires ont fait directement ce passage, comparativement à 7 % en moyenne pour les actuels propriétaires de plus de 35 ans. De plus, la tendance à devenir propriétaire dès la fin des études est plus forte chez les jeunes femmes (41 % contre 28 % pour les jeunes hommes).

Le rôle des études dans l’acquisition de compétences, telles que les compétences en gestion d’affaires ou en démarrage d’entreprise, est reconnu de manière similaire entre les groupes d’âge. Au-delà des études, les politiques et les initiatives favorables à l’entrepreneuriat expliquent très certainement l’essentiel de cette accélération entrepreneuriale chez les jeunes.

Les hommes entrepreneurs ont en général une propension plus élevée à prendre des risques que les femmes. De façon un peu attendue, mais à un niveau surprenant, la propension des jeunes hommes est très nettement plus élevée que celle des hommes des autres âges (graphique 3.3).

GRAPHIQUE 3.3

Propension à prendre des risques, selon le groupe d’âge et le sexe, Québec (novembre 2018)

Les motivations pour se lancer en affaires, dans le cas des jeunes propriétaires, sont globalement supérieures par rapport aux autres groupes d’âge. Il faut néanmoins souligner l’importance toute particulière accordée à la situation financière7 et à la volonté de faire quelque chose d’utile pour la société (tableau 3.28).

TABLEAU 3.2

Principales différences entre les jeunes et les autres propriétaires concernant les motivations de se lancer en affaires, Québec (novembre 2018)

Malgré quelques exceptions (taille insuffisante du marché, concurrence sur le marché, niveau d’effort personnel requis pour la croissance), les jeunes propriétaires sont proportionnellement plus nombreux à considérer les obstacles à la croissance comme difficiles et très difficiles : le manque de connaissances financières retient l’attention avec 58 %9 des jeunes concernés (36 % pour les autres groupes d’âge). Les jeunes femmes sont particulièrement touchées par cette lacune : 62 % des jeunes femmes propriétaires d’entreprises manquent de connaissances de nature financière.

En dépit des efforts remarquables consentis au cours des dernières années, notamment pour la mise en place de programmes et de structures en entrepreneuriat, le manque d’accompagnement par un entrepreneur expérimenté est tout de même mentionné par 48 % des jeunes entrepreneurs (spécialement les jeunes hommes : 56 %), contre 27 % pour les autres groupes d’âge. Le manque d’expertise et de savoir-faire est retenu par 47 % des jeunes (notamment par les jeunes hommes : 54 %), contre 37 % pour les autres groupes d’âge. Ce manque de préparation doit être relativisé, car l’évaluation est faite implicitement par rapport aux aspirations de chaque individu. Plus les aspirations sont grandes (et les jeunes, plus présents parmi les Chefs de file, semblent avoir plus souvent de telles aspirations), plus le besoin d’une très bonne préparation est grand.

Hausse du taux de fermetures parmi les jeunes

Une tendance récente montre, du côté des jeunes, que le taux de fermetures est en hausse : à 5,4 % en 2016, il a passé à 6,5 % en 2017 et à 8,3 % en 2018. L’entrée relativement massive des jeunes dans la chaîne entrepreneuriale ces dernières années implique un taux de sortie forcément plus élevé pour ce même groupe d’âge. Rappelons enfin que plus d’un jeune sur quatre (27 %) ayant fermé son entreprise l’a fait avant que l‘entreprise ait complété sa première année d’activités.

En fait les jeunes représentent près de la moitié (44 %) des fermetures au cours de la dernière année, leurs principales raisons étant le manque de clients (17 %), les difficultés financières (15 %) ou le fait d’avoir trouvé un autre emploi (10 %). Le manque d’accompagnement est indiqué par seulement 4 % des jeunes ayant fermé une entreprise, ce qui suggère que la préparation individuelle, déjà indiquée comme très importante par les jeunes entrepreneurs en fonction, est insuffisante (particulièrement l’évaluation du marché potentiel de l’occasion d’affaires qu’ils convoitent!).

Les données de l’Indice 2018 nous rappellent que l’attirance pour le « métier » d’entrepreneur n’est plus à prouver chez les jeunes Québécois. Plus scolarisés que jamais (davantage les jeunes filles, faut-il le rappeler), ancrés dans une culture qui ne connaît plus de frontières et nés avec de nombreux outils technologiques à portée de main, les jeunes possèdent – plus que jamais! – de nombreux atouts pour se lancer en affaires. À nous tous – parents, professeurs, entrepreneurs, banquiers et autres acteurs de l’entrepreneuriat – de les soutenir dans cet élan.

Sources

1Obschonka et collab., 2010.
2« La proportion de jeunes âgés de 25 à 34 ans titulaires d’un baccalauréat ou d’un diplôme supérieur au baccalauréat a connu une progression relativement constante depuis 1996, celle-ci passant d’environ 20 % en 1996 à 31 % en 2012. » (Institut de la statistique du Québec, Regard statistique sur la jeunesse – État et évolution de la situation des Québécois âgés de 15 à 29 ans (1996 à 2012), 2014.)
3La question de l’enquête sur le rôle des entrepreneurs dans la société est posée aux individus qui ne se trouvent pas dans la chaîne entrepreneuriale.
4La question sur le choix optimal de carrière a été introduite dans le questionnaire à partir de 2013.
5Cette baisse du taux d’intention est également visible auprès des répondants natifs (contrairement aux immigrants), des répondants masculins ainsi que des répondants ne détenant pas de diplôme universitaire. Le lecteur peut consulter les thèmes « Entrepreneuriat immigrant », « Entrepreneuriat féminin » et « Études universitaires » de l’Indice 2018 à cet effet.
6Ces taux signifient un rapport du taux des jeunes propriétaires par rapport au taux des propriétaires de l’ensemble. Normalement, il est inférieur à 100 %, car de nouveaux propriétaires entrent en fonction à des âges supérieurs à 35 ans, mais une telle évolution indique une entrée récente importante des jeunes parmi les propriétaires, changeant la structure par âge.
7On notera que l’importance des raisons financières apparaît plus grande pour les jeunes hommes : 84 % indiquent « le besoin d’avoir un revenu suffisant pour survivre » (contre 75 % pour l’ensemble des jeunes).
8Les taux présentés dans le tableau sont ceux des personnes indiquant être « très en accord » et « plutôt en accord ».
9Obstacle « très important » ou « plutôt important ».
Tiré de l’Indice entrepreneurial québécois 2018 de la Fondation de l’entrepreneurship.
Novembre 2018
Auteurs : Mihai Ibanescu (Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC Montréal), Audrey Azoulay (illo pertinere), Rina Marchand (Fondation de l’entrepreneurship).